Cf. Porosités

avec le concours de l’Etat (Ministère de la culture et de la communication – DRAC Nouvelle Aquitaine)

Cf. Porosités

  • commissariat de l’exposition : Jean-Baptiste Clavé, Hélène Delépine, Lidia Lelong
  • du 10 au 18 novembre 2017 – Espace Noriac – 10 Rue Jules Noriac – 87000 Limoges
  • avec : JEAN-BAPTISTE CLAVÉ – HÉLÈNE DELÉPINE – LIDIA LELONG

Cf. Porosités est un projet d’exposition rassemblant trois artistes qui croisent leurs préoccupations autour des principes de construction et d’édifice. Cf. renvoit à ce qui fait écho d’une oeuvre à l’autre, d’un lieu à une oeuvre, d’une temporalité à une autre, à ce qui peut faire du lien à la fois entre le lieu qu’est la crypte et les oeuvres exposées en son sein mais aussi entre nos oeuvres respectives. Porosités permet d’aborder cette place nécessaire à un développement d’idées plus personnelles autour d’un même thème, comme le permettrait un vide laissé par une fissure créée sur une surface pleine et fermée. Dans cette idée et cette perspective, nous perçevons la crypte de l’espace Jules Noriac comme un espace à investir et habiter, qui peut intéragir de façon singulière avec nos oeuvres.

Parcours fictionnels par Christian Garcelon

« Hélène Delépine travaille la terre depuis longtemps. À contrario de la mode céramique, elle connaît le médium. Elle en éprouve les possibles et les limites. Et là, ce médium n’en manquent pas. Une des solutions pour en sortir,  et ne pas s’enliser, c’est sans doute de s’ancrer au réel. À la réalité du flâneur. ; l’observation comme outil premier à la compréhension des formes tangibles, elles mêmes expression de culture. De la capture du réel par l’indice Raymond Hains* en fut le prélat.  Il disait « Inventer pour moi, c’est aller au-devant de mes œuvres ». L’indice est incomplet de ce qui est perçu et pourtant, il dit plus que la totalité. L’indice est poésie ou du moins, il en permet l’attrait. Il a nécessairement certaines qualités en commun avec l’objet, ici le réel, et c’est sous ce rapport qu’il réfère à la réalité.

Hélène Delépine capte ce qu’elle nomme des images, façon de rester large, dans une pratique céramique mais pas que. La photographie, le dessin, l’aquarelle, appartiennent ici au monde céramique tant ils sont par procédés attachés à celle-ci dans le travail de l’artiste.

La céramique, c’est l’Autre dans la qualité de dénommer  les similitudes et les diversités. Rares sont les médiums qui renvoient à l’humanité par le geste. La terre n’exprime non celui qui réalise mais ce qui est. dans sa fonction, sa forme, sa surface, son espace ; elle rend compte. Sans doute est-ce une force de donner à voir l’Autre. Comme l’indice, la céramique est prolixe parce qu’on est face à des récits multiples.

Hélène Delépine construit des récits par captation d’éléments glanés ici ou là dont l’intérêt réside dans leur possible combinatoire. Eléments plus ou moins reconnaissables dont on subodore l’appartenance architecturale. Si dans le principe de la captation, on réside dans l’épreuve de la flânerie, le combinatoire installe une filiation à un ensemble vaste de pratiques artistiques. Les volumes et les images d’Hélène Delépine construisent un monde connu**.

Depuis les premières œuvres, celles issues de la rue et de la signalétique urbaines, les pièces produites se sont complexifiées ou du moins ont-elles par glissement rejoint le registre sculptural. Le procédé est toujours le même mais le récit est autre. Il est encore extrait du réel mais les pièces sont autonomes, comme émancipées des conditions de leur production. Le glissement s’opère lors de la confrontation à l’espace extérieur, hors du with cube quand Hélène Delépine se confronte à plus dur que la terre, à la pierre volcanique***. Non qu’elle en fasse un matériau de production mais, en conscience, qu’il y a nécessité à s’en jouer pour être à la hauteur. Entre imitation et autonomisation, l’argile autorise ce que je définissait comme particularisme à la céramique, c’est à dire l’Autre, dans la qualité de dénommer  les similitudes et les diversités pour rendre compte.

L’image déjà présente dans ses précédents travaux mute aussi. Elle est retravaillée quittant l’aspect documentaire qui pu un temps l’intéressée. C’est une image construite à partir de formes architecturales, sélectionnées pour ces qualités, sur fond bleu. Hélène Delépine « les métamorphose en drôles d’objets fétiches, artefacts désormais dépourvus de fonction »****. L’artificialisation de ces objets élaborés neutralise tout référencement, pour les rendre autonome, porteurs d’un récit naissant.

Ici, réside l’origine des pièces en terre. Elles sont débarrassées par le truchement de l’image du poids originel. Réalisées récemment, lors de déplacements, elles détiennent une puissante stabilité sur un jeu d’équilibre subtil qui laisse à croire leur combinaison alors même qu’elles sont produites par bricolage, c’est-à-dire par jeu, s’appuyant sur un parti pris d’oppositions formelles, colorées et spatiales.

Le processus du travail est établi ; collecte photographique, travail de l’image par ordinateur avec extraction d’un élément, élaboration de la pièce en terre. Cependant, comme on l’a évoqué précédemment, le processus peut-être bousculé. Plus que le processus de mise en œuvre, le titre des pièces – images et terres cuites – donnent lecture et indice géographique. Les titres sont composés des deux ou trois premières lettres des villes parcourues par l’artiste : SF, pour Saint-Flour ; FEC pour Fecamp ; PON, pour Pont-Audemer ; LEH pour Le Havre. Ensuite, des chiffres assez énigmatiques étendent le secret ; une sorte de code initiatique qui renseignent sur la date de réalisation (Saint-Flour), sur le déroulé du processus (E pour étape de travail et chiffre pour énumérer l’ordre). Ces titres ne valent que pour les pièces élaborées dans le processus établi.

Hors de ce dernier, subsiste la collecte, montrée ou pas, et les pièces en argile multiples. Dans « Leurres » seules les pièces en terre sont présentées en un ensemble de modules combinatoires, nous évoquant les leurres anti-torpilles*****. Leurrer par les glissements formels, contextuels et lexicaux anime le travail, voir l’ensemble de la démarche de l’artiste. Le leurre permettant le récit qui semble à la fois à écrire et qui s’avère pourtant déjà su par la succession de références plus ou moins explicites.

Les pièces photographiques ont une fascinante présence par la simple organisation spatiale du module architecturé répété, doublé symétriquement, formant un module en lévitation, volant sur un fond de ciel bleu numérique. Simple et pourtant si efficace, cela est presque dérangeant pour le regardeur qui se laisser attraper aussi naturellement.

Les correspondances entre photographies et pièces en terre sont aussi dans les contrastes qui, dans les sculptures, s’expriment par la matérialité des surfaces claires s’opposant à celles plus sombres mais irisées d’un émail particulier.

Avec « Antédiluviennes », on est en présence d’une archéologie évoquant un ensemble plus vaste dont ne subsisteraient que des scories. Les liens entre argile et archéologie dans l’art contemporain sont anciens. « Antédiluviennes » pourrait être des restes de « Ostia Antica » de Anne et Patrick Poirier qui, en 1971, construisent en argile rouge une maquette 72 m2 de leur déambulation dans Rome et ses environs. Ils formulaient ainsi leur travail « L’inexactitude de notre construction n’est pas un obstacle, étant donné la notion à laquelle nous sommes attachés au départ : à savoir que cette ville n’est qu’un prétexte, un prétexte, une histoire que nous pouvons vivre. »******. Ils se prennent au jeu de l’archéologue. En collectant des morceaux de ville par le biais de petits moulages, de croquis, de menus vestiges, ils agrégèrent ces éléments épars en un objet unique qui présenté dans une salle fortement éclairée faisait ressortir le rouge de l’argile cuite, produisant un effet poignant, une sorte d’image tout aussi attachée à leur expérience qu’à l’histoire de la ville. L’espace physique devient un espace mental fort d’un récit où l’imaginaire enrichit l’expérience à laquelle est convoquée le regardeur.

L’ensemble du travail d’Hélène Delépine relève de la mutation d’un espace physique parcouru et disséqué qui, avec la production d’images en deux ou trois dimensions, devient un espace mental. Seul espace possible à l’imaginaire individuel, dans une expérience collective ravivée, celle de la flânerie.

Récemment apparaît le dessin sur brique et sur papier. Tentative de dialogue entre l’image et la forme industrielle, la brique, et une représentation en aquarelle d’une pièce réalisée. L’image ne devance plus mais s’invite à représenter le volume fait. Le dessin sur brique est réalisé par laser, à partir de croquis vectorisés exécutés lors de déambulations à Limoges. L’aspect du trait incisé sur la brique est brillant, résultat de la brulure du laser sur la terre rouge de la brique cuite. La surface de la brique ainsi recuite, les aspects irisés et irréguliers du trait autorisent un glissement de l’objet industriel à l’artisanal. Le dessin permet à cette argile figée dans son processus de fabrication, une conversion à la céramique. A celle qui donne à voir ce qui est, assumant le geste.

Dans le cadre de la résidence de l’école d’arts plastiques de Châteauroux, dans la temporalité de la biennale de céramique qui a pour thème générique Idem, qui associe artiste du champ céramique et autres, formant des binômes au dialogue forcément dépaysant, Hélène Delépine se propose « de questionner ce qui peut être semblable sans être le même ». Elle déplace le sens même du mot idem, hors de son synonyme courant – de même – qui ne peut être un but en soit, au risque de la copie. Dans le contexte de Châteauroux ou se côtoient des architectures variées, très dissemblables, témoins des temps et des évolutions mouvantes, l’artiste opère des glissements du réel qu’elle souhaite offrir au regardeur, façon de modifier non la réalité mais d’en perturber la vision.

Hélène Delépine est en recherche constante. Le réel, saisi lors d’une déambulation, est la source de la fiction où se développent des cohabitations improbables et pourtant interrogatoires. La place et les interactions des éléments du réel s’en trouvent déplacés, glissés  au sein d‘une fiction, dont l’œuvre ainsi composée se trouve porteuse. Dépayser le réel est sans aucun doute le moteur de cela. »

* Raymond Hains dans cette capacité à capturer le réel notamment dans ses séries de palissades mais plus encore dans les photographies de signes de l’urbain en transformation (Paris, Nice, Nîmes) inscrit son travail dans celle du voyage d’exploration dont seul le parcours est connu de l’artiste. C’est sans doute dans cette action et son processus qu’Hélène Delépine s’approche de ce dernier.

** On pense tout particulièrement aux constructivistes qui de l’enchevêtrement des plans à l’organisation rythmée de l’espace figurent des forces dynamiques.

*** L’expérience de l’in situ est sans doute un moment de basculement dans le travail ; être confronté à un espace ou s’entrechoc la puissance de l’architecture et la matérialité minérale du lieu pousse à l’équilibre, à la réciprocité dans les propositions. Les sculptures en terre cuite, SF 6102 – Christine – 2016 et SF 6102 – Pierre – 2016, témoignent de cette évidence ou se lient les espaces physique et mental en un unique espace démonstratif.

**** In, Réciprocité de l’être du savoir-faire par Septembre Tiberghien, le magazine de la biennale Chemin d’art 2016, n°3, Communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride, Ville de Saint-Flour, juillet 2016.

***** Les formes combinées de « Leurres » sont issues des plombs et bouchons de pêche. Ces différents types de profils évoquent le monde marin ou leurrer le poisson est la première qualité. Qualité reprise par l’armée pour tromper l’ennemi.

****** A. et P. Poirier in catalogue Anne Poirier Patrick Poirier, Neue Galerie, Aix-la-Chapelle, 1973.

Christian Garcelon, conseiller pour les arts plastiques, enseignant, directeur de la biennale d’art contemporain de Saint-Flour, 2017

Parcours fictionnels par Christian Garcelon, La Mire : Hélène Delépine, n°1, 2017, éditions Impression, Limoges, ISBN : 978-2-9550305-4-7